Geoffroy de Montbray - évêque normand et seigneur de la guerre

Publié le par Elise


Ce site a pour but de vous offrir un aperçu du personnage historique de Geoffroy de Montbray.

Le fameux évêque de Coutances était aussi appelé Geoffroy de Coutances et, en Angleterre, Geoffrey of Mowbray suite à l’anglicisation de son nom sur l’île à partir du XIIIème siècle. Il existe d’autres variantes anglo-saxonnes de son nom telles que Mowbrey, Moubrey, Moubray, Mowberry ou encore Molbrai, mais il arrive qu’on le retrouve aussi sous le nom de Geoffrey de Sancto Laudo, Geoffrey Saint Loth, c’est-à-dire Geoffroy de Saint-Lô, ville dont il était baron.

Geoffroy de Montbray serait né en l’an 1030 sur la motte fortifiée de Montbray qui surveillait une ancienne voie romaine reliant Caen à la Bretagne via Avranches. Il est mort en 1093 à l’âge de 63 ans. Fils du seigneur Roger de Montbray, baron de Montbray, sa famille était parente de Néel II de Saint-Sauveur, vicomte du Cotentin, et posssédait des terres en Bessin et en Cotentin. Il avait un frère aîné nommé Roger, un second frère nommé Mauger ainsi qu'une sœur nommée Amicie. Son frère, héritier de la baronnie paternelle, eut un fils Robert qui devint comte de Northumberland après la conquête de l’Angleterre. Son frère aurait également participé à la conquête, mais n’en aurait reçu aucun fief anglais. Amicie, la sœur de Geoffroy, épousa Roger d’Aubigny, autre aristocrate du Cotentin, et en eut un fils du nom de Néel. En se mariant, Amicie lie également sa famille à la mémoire du seigneur Grimoult du Plessis (mort à Val-Es-Dunes en 1047) dont son époux n’était autre que le fils.

La confiance que témoigna le duc Guillaume à Geoffroy de Montbray tout au long de sa carrière a fait dire à certains que l'évêque, ainsi que son frère Mauger, aurait pu être un bâtard de la famille ducal, un demi-frère du reste de la fratrie de Montbray. Mais pour l'heure, rien ne confirme une telle hypothèse sinon le fait que le duc n'aurait pas choisi un inconnu pour faire partie de ses plus importants conseillers, ce qu'étaient les évêques normands à cette époque.

La lignée des de Montbray s’étant éteinte du côté de Robert, c’est par le fils de Néel d’Aubigny que put renaître le nom de la famille quelques années plus tard. En effet, ce fut Roger d’Aubigny, petit-fils d’Amicie de Montbray et de Roger d’Aubigny, qui reprit le nom de sa grand-mère avant d’épouser Alice de Gant et perpétua ainsi dans le monde anglo-saxon le nom de la petite baronnie bas-normande. Mais le nom des d'Aubigny se transforma également avec le temps, et on en trouve des variantes telles que d'Albigni ou d'Albini.  Une ville du comté de Leicestershire en Angleterre porte le nom anglicisé des de Montbray, nom qu’elle a hérité du neveu de l’évêque lorsqu’il était seigneur du manoir en question. Il s’agit de la ville de Melton-Mowbray. Des banlieues s’appellent Mowbray en Afrique-du-Sud et en Australie.

Geoffroy de Montbray fut nommé évêque de Coutances en l’an 1049, c’est-à-dire à l’âge de 19 ans, et le resta jusqu’à sa mort en 1093. A cette époque, c’est le duc de Normandie qui nommait directement les évêques de son duché, chose peu appréciée de la hiérarchie catholique. Puis, à peine nommé il fut soupçonné lors du concile de Reims de 1049 d’avoir acheté la fonction épiscopale. Il s’en défendit auprès des autorités religieuses en rejetant la faute de simonie sur son frère Roger qui lui aurait acheté sa charge sans le consulter, ajoutant qu’alors il aurait choisi de refuser la consécration et de prendre la fuite plutôt que de déshonorer son nom. Sa nomination fut cependant confirmée après qu’il eut professé sa bonne foi sous serment lors du concile de Reims. Il est finalement consacré par Mauger, archevêque de Normandie, le 12 mars 1049 en la cathédrale de Rouen.

Evêque de Coutances, il fut à l’origine d’une réorganisation d’autant plus remarquable de son diocèse que ce dernier avait été laissé à l’abandon par ses prédécesseurs pendant plusieurs décennies. Ainsi, cinq évêques de Coutances ont résidé à Rouen depuis le baptême de Rollon en 911 (Thierry, Herbert I, Algeronde, Gilbert et Hugues) jusqu’à l’installation prudente de Herbert II en 1025 à Saint-Lô suivi, de Robert (1026-1048). Pour rappel, l’ancienne basilique de Coutances avait été détruite par les envahisseurs normands en l’an 866 sans jamais être reconstruite tandis que le paganisme, encouragé par les Norrois venus coloniser la région, reprenait pied pendant les  IXème et Xème siècles.
De plus, ce n’est qu’en 933 que le Cotentin fut rattaché au duché de Normandie, et bien que ce rattachement fût officialisé par un traité on vit durant tout le Xème siècle les éléments hostiles à la politique d'acculturation menée par les ducs refluer de l'est, où le pouvoir ducal était le plus affirmé, vers l'ouest resté davantage indépendant et où l'Eglise n'exerçait plus son pouvoir. Ainsi, il est notoire que la plupart des barons de l'ouest invoquèrent le dieu Thor dans leurs cris de guerre lorsqu’ils prirent les armes contre le jeune duc Guillaume en 1047 (bataille de Val-Es-Dunes). Or, après cette inquiétante rebellion que l'on peut interprêter comme l'aboutissment d'un processus d'opposition au pouvoir ducal, le duc de Normandie comptait sur l'appui de l'Eglise pour achever de pacifier la Normandie : à Coutances, la restauration de l'évêché signifiait pour lui le rétablissement du pouvoir ducal dans l'ouest du duché.
 
Le jeune évêque avait donc fort à faire en 1049 : en plein pays païen, Coutances, en ruines, n’avait plus rien d’une cité épiscopale avec seulement 5 chanoines en place, aucune bible disponible pour prêcher la bonne parole et des revenus réduits à peu de chose suite à la perte de la plupart de ses propriétés, cédées à des proches par les deux prédécesseurs de Geoffroy ou accaparées par ces derniers. Bref, il devait accomplir ce prodige qui consistait à faire mieux que le duc Richard I, lequel, malgré ses larges pouvoirs, avait échoué à la fin du siècle précédent à rétablir l’évêché de Coutances et le christianisme en Cotentin. Geoffroy de Montbray reprit cependant les travaux de construction de la cathédrale timidement commencés en 1030 par son prédécesseur Robert, ancien évêque de Lisieux, sous le patronage de la duchesse Gonnor. Il entreprit également de rétablir les ornements et dotations de l’évêché, rappela les 7 chanoines réfugiés à Rouen et en nomma 2 autres (un chantre et un sous-chantre) en sus des 5 qui se trouvaient sur place, soit un total de 14 chanoines dont il restaura les prébendes. Il nomma également un écolâtre et des bedeaux et chercha encore à restaurer le rayonnement culturel de l’évêché en recrutant des lettrés, grammairiens et dialecticiens.

Pour mener à bien cette vaste entreprise, il fit appel aux plus riches de ses paroissiens, issus de la famille des Hauteville (dont le château d'origine se situe à quelques kilomètres seulement de Coutances, à Hauteville-La-Guichard), lesquels résidaient cependant dans le sud de l’Italie où ils avaient fait fortune à la force des armes. Profitant de sa participation au concile de Rome en l’an 1050, on suppose qu’il accompagna le pape Léon en Italie du sud et y rencontra les Hauteville dont il sollicita l’aide financière. En fait, le pape venait à la rencontre des Normands d’Apulie et de Calabre (alors sous le commandement de Robert Guiscard) dans le but de les exhorter à cesser leur pillage des églises ; peut-être la dîme exigée par Geoffroy de Montbray sur le butin de ses ouailles était-elle le prix à payer pour leur pardon.

Il est difficile d’évaluer le montant des subsides ainsi récoltés mais il dut être colossal puisque à la suite de la rencontre de Geoffroy de Montbray avec les Hauteville, l’évêque reprit non seulement les travaux de la cathédrale mais se lança aussi dans une politique d’acquisition de terres dans le Cotentin. Pour environ 300 livres, il acheta au duc de Normandie la moitié de la cité de Coutances et de ses faubourgs avec les péages correspondants, ainsi que les moulins de Grimouville. De cette époque date également la création, aux portes de la ville, du Parc de l’évêque sur des terres prises au comte de Mortain. Puis, il jeta les fondations d’un palais épiscopal dont la ville était dépourvue pour cause d’absence d’évêque avant l’arrivé de Geoffroy. Lui témoignant son soutien inconditionnel, le duc cèda encore à l'évêché l'église Saint-Pierre de Coutance et ses dîmes, de même que des églises à Cherbourg et dans les 4 îles de la Manche.

Personnellement impliqué dans l’organisation des travaux de la cathédrale, Geoffroy de Montbray supervise le recrutement des orfèvres, des verriers, des ferronniers, des charpentiers et des maîtres-maçons et contrôle encore l’embauche des ouvriers et artisans. La reconnaissance de l’évêque vis-à-vis de ses généreux donateurs exilés était telle qu’il fit encore ériger des statues à leur effigie au sein même de la cathédrale. Sous la férule de cet homme d’action, les travaux de la cathédrale Notre-Dame avancèrent si bien que la dédicace de l’édifice eut lieu dès 1056, soit à peine 6 ans après le voyage de l’évêque en Italie.

De par son nouveau statut, l’évêque était également baron de Saint-Lô dont il développa l’activité économique. Pour ce faire, il y fit améliorer les routes et construire ponts et moulins, à telle enseigne que les sommes perçues au titre du tonlieu (taxe médiévale prélevée sur les marchandises transportées) de ladite cité étaient quatorze fois plus élevées en 1093 qu’en 1039 (le revenu du tonlieu passe de 15 livres à 220 livres).
Par ailleurs, et jusqu’à la conquête de l’Angleterre qui l’éloigna de la Normandie, l’évêque s’attela également à mettre en œuvre les réformes ecclésiastiques de Normandie dont Guillaume le Bâtard avait le patronage tout en favorisant la création des abbayes bénédictines richement dotées comme Saint-Sauveur (1056) et Lessay (1064) dont le Cotentin était dépourvu. Il instaura également en Cotentin des synodes diocésains réguliers et racheta des terres dans les îles à l’ouest de la côte normande afin d’y rétablir l’autorité de l’Eglise.

Ce sont sans aucun doute ces talents hors pair d’administrateur de son diocèse qui attirèrent l’attention du duc de Normandie dont il devint un proche conseiller et un intime avant de l’accompagner en Angleterre. Geoffroy de Montbray prit ainsi une part active dans les premiers mois de 1066 lors de l’assemblée de Lillebonne (où le duc possédait un palais) en défendant les arguments de Guillaume le Bâtard en faveur d’une invasion de l’Angleterre et notamment son droit au trône anglais. Par son implication, il contribua à emporter l’adhésion et la participation des barons et prélats normands dont beaucoup étaient encore très réservés sur la faisabilité du projet ou sur les arguments avancés pour le justifier.

Après avoir confié l’administration de sa cathédrale à son chambellan et doyen Pierre, il accompagna son duc en Angleterre le 28 septembre 1066 et fut présent à Hastings le 14 octobre suivant. Concernant la fameuse bataille d’Hastings, les chroniqueurs de l’époque lui ont attribué un rôle purement spirituel, de même qu’à son éminent confrère l’évêque Odon de Bayeux. Mais on peut douter de la bonne foi d’un chroniqueur comme Guillaume de Poitiers sur ce point lorsque l’on sait les commandements exclusivement militaires que l’évêque de Coutances reçut en Angleterre dans les années qui suivirent Hastings (il est d’ailleurs nommé colonel général de la cavalerie du nouveau roi). Geoffroy de Montbray apparaît également dans les chroniques lors du couronnement de Guillaume le Conquérant qui eut lieu le 25 décembre 1066 en la cathédrale de Westminster. Il co-célèbra en effet la messe d’intronisation avec l’archevêque d’York, chacun s’exprimant dans sa langue afin d’être compris des seigneurs anglais et continentaux.

Mais la conquête était loin d’être achevée en 1066 (même 15 ans plus tard, le nord de l’Angleterre échappait encore partiellement au contrôle royal) et les années suivantes virent Geoffroy de Montbray jouer un rôle de premier plan lorsqu’il reçut des commandements militaires en Angleterre en vue d'écraser des révoltes locales. Peu après 1066, l’évêque choisit la ville de Bristol, dans le comté du Gloucestershire, comme siège de la force militaire qu’il avait en charge et le duc-roi lui attribua la moitié des revenus de cette prospère cité. Il y construisit également un château et si l'on sait peu de chose de l'entourage militaire dont disposait Geoffroy de Montbray en Normandie en tant qu'évêque (entourage qui devait pourtant être conséquent pour que l'évêque ait pu rapporter ses trésors d'Italie), les noms de plusieurs chevaliers à son service en Angleterre nous sont restés, ainsi Guillaume de Monceaux (localité proche de Bayeux), Geoffroy de Trelly (près de Coutances), Guillaume de Clinton (originaire de Saint-Pierre de Remilly) et un certain Dreux.

En 1067, après avoir accompagné Guillaume lors de sa visite triomphale en Normandie, il intervint lors de la révolte du Staffordshire et de Nottingham. En septembre 1069,  il prit la tête d’une expédition militaire regroupant les garnisons de Londres, Winchester er Salisbury et vola au secours du duc de Mortain, frère du duc-roi, assiégé par les rebelles du Dorset et du Somerset à Montacute, dans le Somerset. Après avoir écrasé les rebelles, il fait passer de nombreux prisonniers au fil de l’épée et en fait mutiler d’autres. Puis, en 1075, quand éclata la révolte des comtes Ralph de Gaël (comte de Norfolk et Suffolk) et Roger de Breteuil (comte d'Hereford), on fit encore appel à lui. Dans cette mission, Geoffroy de Montbray fut accompagné par les seigneurs Guillaume de Warenne, Richard de Clare (dit « de Bienfaite »), Robert Malet et l’évêque Odon de Bayeux. Lanfranc, qui tenait les rênes du royaume en l’absence du roi, envoya également d’autres ecclésiastiques contenir les forces du comte de Hereford afin qu’elles ne puissent rallier le reste des rebelles plus à l’est : l’évêque Wulfstan et l’Abbé Aethelwig se distinguèrent avec autant de succès que les évêques de Coutances et Bayeux. A l’issue du siège du château de Norwich, le combat livré aux rebelles fut des plus sanglants et ceux qui furent capturés eurent le pied droit tranché afin de pouvoir être reconnus (selon le chroniqueur Orderic Vital). En 1078, Geoffroy de Montbray retourna provisoirement sur le continent afin de prêter main forte au duc-roi parti guerroyer dans le Maine. Puis, de retour sur l’île, il exerça l’autorité comtale sur le Northumberland avant la nomination de son neveu à cette fonction en 1080.

Entre deux exploits militaires, l’évêque fut aussi appelé à régler des litiges fonciers qui opposaient les nouveaux maîtres de l’île. L’un des plus retentissants fut le procès de Penenden Heath qui se tint en 1072 afin de savoir si l’évêque Odon de Bayeux, comte de Kent et frère du duc-roi, avait bien usurpé des terres revenant à Lanfranc, nouvel archevêque de Cantorbéry (Cantorbéry est la capitale du Kent).  Geoffroy de Montbray intervint régulièrement sur des affaires délicates, même en Normandie lorsque son souverain requérait ses services. Son objectivité et son intégrité semblaient très appréciées par celui dont il représentait, le plus souvent, les intérêts directs. De plus en plus sollicité en qualité d’émissaire de l’autorité et de la justice royales en Angleterre, il fut encore mandaté en 1080 par Guillaume pour enquêter, en compagnie de l’évêque Remigius, du comte Waltheof et des sheriffs Picot et Ilbert dans le cadre d'un autre procès tenu à Kentford et qui opposait, là aussi, deux hauts ecclésiastiques : l’évêque de Worcester était accusé par l’Abbé d’Ely de lui avoir volé des terres appartenant à son monastère. En 1080 encore, il tient un plaid à Cherbourg en compagnie d'Odon de Bayeux et des évêques de Lisieux et Avranches. Ainsi, sous le règne de Guillaume le Conquérant, Geoffroy de Montbray reçoit plus de mandats que tous les autres seigneurs normands et, à l'exception de Robert de Montgommery, c'est lui qui attesta le plus grand nombre de chartes royales. A partir de 1082, après la disgrâce d'Odon de Bayeux, il reprend aussi le rôle de vice-roi d'Angleterre lorsque Guillaume s'absente du royaume. On le retrouve également parmi les commissaires  chargés de mener l’inventaire des terres du royaume en 1086 et que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Doomsday Book.

Pour son action militaire en Angleterre, pour son rôle d’administrateur, de justicier royal, de conseiller et d’homme de confiance, l’évêque de Coutances reçut de nombreux fiefs anglais de son duc-roi. Le Doomsday Book nous révèle en effet qu’au total 280 domaines lui furent attribués dans 12 comtés, notamment dans l’ouest de l’Angleterre : 97 domaines dans le Devon, 76 dans le Somerset, 10 dans le Gloucestershire, 8 dans le Wiltshire et 2 dans le Dorset. Dans les Midlands de l’ouest, il comptait 28 domaines situés dans le Northamptonshire, 17 dans le Buckinghamshire, 12 dans le Bedfordshire, 7 dans l’Oxfordshire, 2 dans le Huntingdonshire et 1 dans le Leicestershire. Certains de ses domaines étaient plus isolés, tels ceux situés dans le Berkshire, le Lincolnshire et le Warwickshire. Geoffroy de Montbray possédait également des maisons et des droits dans les villes de Bristol, Exeter, Bath, Oxford et Barnstaple, et c'est dans cette dernière cité, qui formait le centre de l'honneur ainsi constitué, qu'il fit bâtir un autre château. La valeur totale de ces domaines atteignait la somme vertigineuse de 788 livres, valeur que l'évêque accrut de 39% en 20 ans.
Cette avalanche d’octrois de biens fit de lui l’un des plus importants seigneurs normands d’Angleterre. Il occupait rien moins que le septième rang des plus grandes fortunes d’Angleterre. Mais cela ne l’empêcha pas de faire preuve de générosité, entretenant sur l’île une cinquantaine de prébendes et envoyant de nombreux trésors sur le continent pour son diocèse. Entre autres, il attribua aux chanoines du chapitre de Coutances les ressources d'un manoir anglais du nom de Winterbourne, sis en Dorset et d'une valeur de 15 livres sterling.

En 1087, à la mort de Guillaume le Conquérant, Geoffroy de Montbray se rendit en Normandie pour assister aux funérailles de son souverain. Mais comme nombre de ses compatriotes, il voyait d’un mauvais œil le partage de l’empire normand entre deux héritiers de chaque côté de la Manche. De retour en Angleterre, il prit alors le parti de Robert Courteheuse à qui le duc-roi avait légué la Normandie contre celui de Guillaume le Roux, à qui revenait l’Angleterre. Afin de placer Robert Courteheuse, nouveau duc de Normandie, sur le trône d’Angleterre et donc de conserver l’ensemble de ses possessions des deux côtés de la Manche, l’évêque mèna en 1088 une rébellion à laquelle participèrent Odon de Bayeux, le comte Robert de Mortain, Guillaume FitzOsbern et Richard de Clare contre Guillaume le Roux. Basé à Bristol avec son neveu Robert de Montbray, il mena une série de raids contre les villes de Bath et Berkeley ainsi qu’une partie du Somerset et du Wiltshire avant d’être stoppé à Ilchester par les troupes levées par le shérif local sur ordre du roi.

Hélas pour l’évêque et ses compagnons, la plupart des barons normands d’Angleterre, qui pourtant possédaient pratiquement tous des domaines sur le continent, demeurèrent loyaux au nouveau roi, permettant alors à celui-ci de remporter victoire sur victoire contre les châteaux rebelles de Tonbridge (château de Richard de Clare), Rochester (château d’Odon de Bayeux et quartier-général des rebelles) et Pevensey (château de Robert de Mortain). Or, pendant la révolte de 1088, Geoffroy apprit que Robert Courteheuse avait vendu le Cotentin et l’Avranchin à son frère Henri Beauclerc afin de lever une armée contre Guillaume le Roux et que de surcroît ce même Robert avait échoué à envahir l’Angleterre. Voyant en ce dernier un incompétent fini, l’évêque rallia in extremis Guillaume le Roux contre lequel il luttait jusqu'alors, et contribua à chasser son frère Henri de l’ouest de la Normandie. Ce fut sans doute pour ne pas s'être entêté à soutenir indéfiniment les rebelles qu'il obtint un pardon rapide du nouveau roi d’Angleterre.

Après l’échec complet de la révolte dont Geoffroy de Montbray était l’un des meneurs, Guillaume le Roux accorda un pardon massif aux rebelles. Cherchant à pousser son avantage, l’évêque tenta de revenir en grâce auprès du roi mais l’archevêque Lanfranc, ancien conseiller de Guillaume le Conquérant et chaud partisan du nouveau roi, se montra hostile à un tel retour. L’archevêque trancha donc pour lui : Geoffroy de Montbray se retira définitivement de l’île et laissa derrière lui ses 280 domaines aux revenus colossaux pour regagner Coutances.

Suite à un violent tremblement de terre survenu à Coutances le 2 novembre 1091, une partie du chœur de la cathédrale de l'évêque fut détruite. Le coq en or qui ornait la tour centrale fut jeté à terre et on y vit un mauvais augure pour le restaurateur de l’édifice. Peu de temps après, Geoffroy de Montbray tomba en effet malade. Il trouva néanmoins la force d’entreprendre les travaux de réparation nécessaires et fit même venir d’Angleterre un habile artisan du nom de Brismet pour la réfection des couvertures de plomb et l'installation d'un nouveau coq au sommet de la tour centrale. En 1092, il assista aux obsèques de son parent Néel de Saint-Sauveur et veilla aux derniers travaux de réparation de sa cathédrale jusqu’à sa mort survenue le 2 février 1093.

Après son inhumation sous le chevet de la cathédrale et plus exactement sous l'égoût du toit, conformément à ses vœux, ce fut son neveu Robert de Montbray qui hérita alors de ses innombrables domaines anglais. Toutefois, Guillaume le Roux les lui confisqua en 1095 à la suite d’un complot contre sa personne. Robert fut alors mis aux arrêts dans les geôles de Windsor et y demeura pendant une trentaine d’années, et c’est pendant cette période que Mathilde, sa femme divorcée par dispense du pape Pascal, prit Néel d’Aubigny pour époux, lequel hérita ensuite de toutes les possessions anglaises de Robert.

Cette grande figure de l’histoire normande a suscité l’attention des chroniqueurs médiévaux car elle portait à la fois la mitre et le chapeau de fer : Orderic Vital a ainsi écit de lui, comme un reproche, qu’il était plus doué pour former les chevaliers au maniement des armes que les clercs au chant liturgique. Pourtant, cumuler pouvoirs spirituels et temporels n’était pas rare au XIème siècle, surtout dans la Normandie de Guillaume le Conquérant où ce dernier sut mettre cette particularité à profit, notamment dans le cadre du rétablissement de son pouvoir dans l'ouest du duché.


De nos jours, la ville de Coutances commémore son illustre évêque à travers le nom de l’une de ses rues menant de la cathédrale Notre-Dame à l’église Saint-Pierre. La ville a également célébré sa mémoire en 1950 en faisant donner une "Geste de Geoffroy de Montbray" sur la place du Parvis, grand spectacle de plein air qui fit date dans les annales de Normandie. Une tentative de réédition du spectacle de 1950 eut lieu en 1993, mais ne fut pas couronnée du même succès (cliquez sur le lien ci-dessus pour une description détaillée de ces deux spectacles).




Bibliographie :   


- Christopher Teyerman : Geoffrey of Coutances. Who’s who in Early Medieval England, 1066-1272. Ed. Shepheard Walwyn, 1996.
- Joseph Toussaint : Coutances des origines à la révolution. Tome 1. Coutances, Editions OCEP, 1979.
- Pierre Bouet et François Neuveux : Les évêques Normands du XIème siècle. Actes du colloque de Cerisy-La-Salle. Presses Universitaires de Caen, 1995.
- J.R. Planché : The Conqueror and His Companions. London : Tinsley Brothers, 1874.
- E.A. Freeman : The Norman Conquest. Oxford University Press, 1875.
- R. Toustain de Billy : Histoire ecclésiastique du diocèse de Coutances. Ed. François Dolbet et A. Héron. Rouen, Ch. Méterie, 1874-1886.
- Abbé Hersent : Notices sur le livre noir du chapitre, le livre noir de l'évêché et le livre blanc du chapitre de l'église cathédrale de Coutances.  Mémoires de la Société académique du Cotentin, t. 1. 1875. (Le livre noir du chapitre, compilé en 1251 par le chanoine Jean, fils du doyen Pierre, contient le Miracula Ecclesiae Constantiensis).
- Julie Fontanel : Le chartrier de la cathédrale de Coutances, 11ème-14ème siècles. Thèse de l'Ecole des Chartes, 2000.
- Gilles Désiré dit Gosset : Les livres noirs et livres blancs de l'ancien diocèse de Coutances. Revue du département de la Manche, 1997, fasc. 153.
- E.A. Pigeon : Histoire de la cathédrale de Coutances. Coutances, Imprimerie E. Salettes, 1876.
- Joël Masson : La Geste de Geoffroy de Montbray ou petite chronique d’un grand mystère. Annales de Normandie, 47ème année, n°3, septembre 1997.
- John Le Patourel : Geoffrey of Montbray, Bishop of Coutances, 1049-1093. The English Historical Review, volume 59, n°234 (mai 1944).
- Michel de Boüard : Guillaume le Conquérant. Fayard, 1984.
- Lucien Musset : Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances (1049-1093). Revue de la Manche, 1983. Fascicule 83.
- Gérard Guillier : Coutances, l'élan médiéval. Ouest France Editions, 1993.
- Julien Gilles Travers : Annuaire du Département de la Manche. Saint-Lô, Elie Fils, 1839.


Arts et Spectacles :

- Paul Blanchart : La Geste de Geoffroy de Montbray. Spectacle. Coutances, 1950.
- Christiane Léger : Geoffroy de Montbray. Spectacle dansé. Coutances, 1993.
- Erik Larsen : La Seconde Bataille. Roman historique. 2007.
- Michel Lebonnois : Le Secret d'Omonville. Roman historique. 2008.




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C
LA RÉVOLUTION DES SEIGNEURS DE LA GUERRE(fermaton.over-blog.com)
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M
Félicitations pour votre article sur Geoffroy de Montbray, il est vraiment très complet et vos sources nombreuses. Continuez à l'enrichir !
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M
Bonjour et bienvenue dans une de mes communautés!<br /> amicalement.
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